Auteurs(trice)
Coprésidente nationale, Calgary
Dans ce bulletin d'actualités
- L’arrêt partagé rendu le 11 octobre 2018 par la Cour suprême du Canada (CSC) dans l’affaire Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil) (l’Arrêt) rejette l’application de l’obligation de consulter au processus législatif
- Contexte de l’Arrêt
- Motifs permettant de conclure que l’obligation de consulter ne s’applique pas au processus législatif
- Nouvelle incertitude juridique découlant de l’Arrêt quant à l’honneur de la Couronne et les mesures de réparation en cas de manquement à l’obligation de consulter
- Répercussions sur l’industrie
Dans l’arrêt Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), la majorité des juges (7 contre 2) de la Cour suprême du Canada a conclu de manière catégorique que l’obligation de consulter ne s’applique pas à l’élaboration, à l’adoption et à la promulgation d’une loi – une question laissée en suspens auparavant par la Cour suprême. Toutefois, puisque la Cour suprême a exposé trois séries de motifs distincts et indépendants à l’appui de cette conclusion, ainsi que d’autres motifs divergents de ce point, elle a suscité une grande incertitude quant à la relation entre le processus législatif et l’honneur de la Couronne.
Contexte
La Mikisew Cree First Nation (Mikisew) a présenté une demande de contrôle judiciaire pour le motif que le Cabinet ne s’est pas acquitté de son obligation de consulter en ce qui a trait à l’élaboration et au dépôt des projets de loi omnibus modifiant le régime canadien de protection, d’évaluation et de réglementation de l’environnement.
Dans une décision sans précédent, la Cour fédérale a conclu que la Couronne avait l’obligation de consulter les Mikisew au sujet de ces changements. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel, préparant la voie pour que la CSC réponde à une question qu’elle avait expressément laissée en suspens, soit la suivante : L’obligation de consulter s’applique-t-elle au processus législatif?
L'Arrêt
La CSC a exposé quatre séries de motifs à l’appui de sa décision. Les juges de la Cour suprême sont arrivés à une conclusion unanime que les cours fédérales n’avaient pas la compétence de contrôler le processus législatif. Cependant, cette conclusion n’empêcherait pas une cour supérieure provinciale d’exercer sa compétence inhérente pour entendre une affaire semblable concernant l’obligation de consulter. Par conséquent, les conclusions de la Cour suprême entourant l’obligation de consulter demeurent essentielles afin de définir si l’obligation devait être acquittée.
Sept juges ont conclu qu’il n’y avait aucune obligation de consulter, mais ils ont exposé divers motifs à l’appui de cette conclusion et de la relation entre les droits ancestraux et issus de traités et le processus législatif. En revanche, deux juges ont conclu qu’une obligation de consulter s’applique au processus législatif.
Désaccord concernant l’obligation de consulter
La CSC a exposé trois séries de motifs distincts permettant de conclure que l’obligation de consulter ne s’applique pas au processus législatif.
La juge Karakatsanis (avec l’accord du juge en chef Wagner et du juge Gascon) a conclu que la séparation des pouvoirs entre les branches exécutive et législative ainsi que la souveraineté et le privilège parlementaires d’adopter et d’abroger la loi de son choix dicte que les cours ne devraient pas intervenir dans le processus législatif.
Indépendamment, le juge Brown va toutefois plus loin en mentionnant que le principe de l’honneur de la Couronne ne lie pas le Parlement et en concluant que les principes de la souveraineté parlementaire, de la séparation des pouvoirs et du privilège parlementaire constituent des questions de constitutionnalité touchant aux limites du pouvoir judiciaire.
Le juge Rowe (avec l’accord des juges Moldaver et Côté) était dans l’ensemble du même avis que le juge Brown, et il a d’ailleurs soulevé de nombreux autres points, notamment des préoccupations d’ordre politique concernant la perturbation du travail législatif et du contrôle judiciaire continu du processus législatif.
En désaccord sur la question, la juge Abella (avec l’accord de la juge Martin) a conclu que l’obligation de consulter s’applique à toutes les mesures gouvernementales envisagées susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux et issus de traités, revendiqués ou établis, y compris les mesures législatives.
Outre leurs différends, les juges de la Cour suprême sont arrivés à une conclusion unanime qu’il serait sage que la Couronne consulte les groupes autochtones au sujet de l’élaboration de lois. Entre autres, la contestation des lois adoptées sur la base d’allégations d’atteinte aux droits ancestraux et issus de traités peut exiger que la Couronne démontre qu’elle a consulté le groupe autochtone de demandeurs.
Nouvelle incertitude juridique découlant de l’Arrêt
Deux nouvelles questions portant sur l’incertitude juridique sont soulevées dans l’Arrêt :
- L’honneur de la Couronne impose-t-il des obligations au cours du processus législatif? La juge Karakatsanis a laissé la question en suspens, en concluant que l’honneur de la Couronne et que d’autres doctrines peuvent être reconnues dans des causes à venir quand une loi sera susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur des droits ancestraux et issus de traités. Les juges Brown et Rowe étaient tous les deux en désaccord avec la juge Karakatsanis. Le juge Brown a déclaré que ce raisonnement « sèmerait une grande incertitude dans ce domaine du droit ». Le juge Rowe a affirmé que dans cette cause, il n’était nullement nécessaire d’adapter ou d’étendre la jurisprudence existante, car les groupes autochtones ont des recours adéquats aux répercussions d’ordre législatif sur leurs droits fondés sur le cadre d’analyse relatif à l’atteinte et à la justification exposée dans l’arrêt Sparrow.
- Quels recours sont mis à disposition en cas de manquement à l’obligation de consulter? Dans la majorité de la consultation de la jurisprudence par la CSC, elle a accepté que le cadre des recours soit souple en cas de manquement à l’obligation de consulter. En effet, les motifs des juges Karakatsanis et Abella y viennent à l’appui. Toutefois, les motifs du juge Rowe semblent suggérer qu’une décision fondée sur une consultation inadéquate sera annulée, mais que plusieurs recours sont mis à disposition en cas de manquement à l’obligation d’accommodement.
À l’issue de l’Arrêt, ces questions continueront d’être entendues.
Répercussions sur l’industrie
L’Arrêt apporte des précisions sur le fait que le processus législatif ne déclenche pas l’obligation de consulter. Cela garantit à l’industrie que l’omission par la Couronne de mener des consultations ne saurait ni reporter ni infirmer les modifications législatives sur lesquelles l’Arrêt est fondé. Cependant, il pourrait finalement s’agir d’une victoire à la Pyrrhus si les demandeurs du contrôle judiciaire se fondent sur les motifs divergents de la CSC pour engager des poursuites sans précédent.
En effet, la division au sein de la CSC quant aux questions des droits ancestraux et issus de traités a suscité l’incertitude parmi toutes les parties qui se sont fiées à la Couronne pour s’acquitter adéquatement de ses obligations constitutionnelles, y compris les promoteurs du secteur des ressources.