Auteurs(trice)
Sociétaire, Fiscalité, Calgary
Sociétaire, Fiscalité, Toronto
Associé, Fiscalité, Toronto
Dans ce bulletin d’actualités
- Plusieurs modifications fiscales récentes sur le plan international pourraient avoir une incidence considérable sur les stratégies de planification fiscale transfrontalières des Canadiens, notamment :
- la ratification récente de l’IM de l’OCDE par le Canada ;
- la récente publication par l'OCDE de son programme intitulé Programme of Work to Develop a Consensus Solution to the Tax Challenges Arising from the Digitalization of the Economy (en anglais seulement) (le « Programme de travail »)
- Les prochaines étapes pour l’IM et le Programme de travail;
- Les incidences sur les entreprises canadiennes relativement à la planification fiscale transfrontalière.
De récentes modifications fiscales internationales proposées par l’OCDE pourraient avoir une incidence importante sur les activités transfrontalières des Canadiens, particulièrement en ce qui a trait aux stratégies de planification fiscale selon lesquelles le bénéfice des contribuables est transféré dans des territoires à imposition faible ou nulle. Premièrement, le Canada a récemment ratifié l’Instrument multilatéral de l’OCDE, qui introduit certaines mesures fiscales du projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (« BEPS ») de l’OCDE et du G20 dans bon nombre de conventions fiscales du Canada. Deuxièmement, l'OCDE a récemment publié son programme intitulé Programme of Work to Develop a Consensus Solution to the Tax Challenges Arising from the Digitalization of the Economy (en anglais seulement; voir le lien dans ce communiqué, intitulé La communauté internationale adopte une feuille de route pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie) (le « Programme de travail »). Ces propositions visent à faire ce qui suit : i) attribuer des droits d’imposition supplémentaires aux territoires de marché (par exemple en révisant le lien d’« établissement stable » pour établir des droits d’imposition du pays d’origine et réviser la norme de lien de dépendance pour la répartition du bénéfice); ii) introduire un nouvel impôt minimum mondial afin de prévenir le transfert de bénéfices vers des territoires à imposition faible.
Mise à jour relative à l’IM – introduction des modifications du BEPS dans les conventions fiscales du Canada
Le Canada a signé la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, aussi appelée « Instrument multilatéral » ou « IM », en juin 2017, énumérant les 75 de ses 93 conventions fiscales qui pourraient être révisées par l’IM (les « conventions fiscales couvertes »). La législation fédérale visant à ratifier l’IM au Canada se trouve dans le projet de loi C-82, Loi mettant en œuvre une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, qui a reçu la sanction royale le 21 juin 2019. Le processus national de ratification de l’IM par le Canada est donc terminé.
IM – prochaines étapes
Le Canada doit maintenant approuver un décret pour informer l’OCDE que les procédures de ratification du Canada sont terminées. Au Canada, l’IM entrera en vigueur le premier jour du troisième mois suivant le dépôt, par le Canada, de son document de ratification auprès de l’OCDE. Si l’IM est déjà en vigueur pour une partie contractante à une convention fiscale couverte, alors l’IM s’appliquera à cette convention fiscale couverte : a) en ce qui concerne les retenues à la source, à compter du premier jour de l’année civile qui commence après la date de son entrée en vigueur au Canada; et b) en ce qui concerne les autres impôts, à compter des années d’imposition commençant six mois après l’entrée en vigueur de l’IM au Canada. Si l’IM n’est pas encore en vigueur pour une partie contractante, la date d’entrée en vigueur applicable à cette convention fiscale couverte dépendra de la date à laquelle l’IM entrera en vigueur pour cette partie. Par exemple, si le Canada dépose son document de ratification auprès de l’OCDE en septembre 2019 et que l’IM est déjà en vigueur pour une partie contractante à une convention fiscale couverte, la date d’entrée en vigueur de l’IM pour cette convention fiscale couverte sera : a) le 1er janvier 2020 pour les retenues d’impôt; b) le 1er janvier 2021 pour tout autre impôt, dans le cas des exercices commençant à compter du 1er juillet 2020 (ce qui signifie que l’IM entrerait en vigueur au « prochain » exercice pour les contribuables dont l’exercice correspond à l’année civile).
Le nombre de conventions fiscales couvertes pourrait augmenter, car le Canada peut désigner d’autres conventions en tant que conventions fiscales couvertes dans son avis définitif à l’OCDE. Selon les audiences du Comité permanent des finances, le Canada pourrait ajouter ses conventions avec l’Algérie, l’Arménie, la Côte d’Ivoire, le Koweït, Oman, la Papouasie–Nouvelle-Guinée, le Pérou, Trinité-et-Tobago et les Émirats arabes unis (même si ces territoires n’ont pas touts signé l’IM). Les conventions fiscales qui ne seront pas couvertes comprennent celle conclue avec les États-Unis, qui n’a pas signé l’IM, ainsi que celles conclues avec la Suisse et l’Allemagne, qui, selon ce qu’a annoncé le Canada, feront l’objet de négociations bilatérales distinctes.
Le Canada a adopté initialement les normes minimales convenues dans le Projet BEPS lorsqu’il a signé l’IM, y compris le critère de l’objet principal (une règle anti-évitement de large portée), un préambule de convention modifié et des procédures de règlement de différends modifiées, y compris l’arbitrage potentiellement exécutoire. Le Canada a annoncé par la suite son intention de retirer certaines des réserves qu’il avait formulées au moment de la ratification de l’IM, à l’égard de certaines de ses dispositions facultatives, dont : i) l’ajout de certains facteurs à prendre en considération par les autorités compétentes au moment de régler les cas de double résidence de certaines entités (article 4); ii) l’ajout de la règle relative à la période minimale de détention d’un an requise pour évaluer la diminution du taux de retenues d’impôt à la source sur les dividendes (article 8); iii) l’ajout d’une règle de vérification rétrospective d’un an requise pour déterminer si les gains en capital ont été tirés de l’aliénation d’actions ou de participations dans des entités tirant leur valeur principalement de biens immobiliers (article 9); iv) l’adoption d’une disposition permettant aux parties à une convention de passer d’un système d’exemption à un régime de crédits pour impôt étranger (article 5). Pour en savoir davantage, consultez notre billet précédent sur la mise à jour des réserves du Canada à l’égard de l’IM (le 29 mai 2018 : Le Canada dépose un AMVM visant la ratification de l’instrument multilatéral; le point sur les réserves à l’égard de l’instrument multilatéral).
Le Canada a laissé entendre qu’elle pourrait éventuellement adopter d’autres mesures plus tard. Cela comprend des modifications aux règles sur l’établissement stable (ES) reflétées dans les dispositions suivantes : i) l’article 10 relatif à la règle anti-abus pour les ES situés en territoires tiers; ii) l’article 12 relatif à l’évitement artificiel du statut d’ES au moyen d’accords de commissionnaire ou de stratégies similaires; iii) l’article 13 relatif à l’évitement artificiel du statut d’ES au moyen du recours aux exemptions applicables aux activités spécifiques offertes par l’IM. Ces modifications aux règles sur l’ES tendent à élargir les droits d’imposition des territoires d’origine, ce qui signifie que le territoire de résidence serait tenu de fournir une dispense pour éviter la double imposition.
À l’étape de l’examen en comité du projet de loi C-82, nous avions mis l’accent sur le fait qu’il devait être modifié de manière à ce que tout retrait futur des réserves du Canada à l’égard des modifications portant sur l’ES soit fait avec le consentement du Parlement plutôt que simplement par voie de décret. Cependant, puisque le projet de loi C-82 a reçu la sanction royale tel que présenté, des modifications relatives à l’ES, dans l’IM, peuvent être adoptées plus tard à l’égard des conventions fiscales couvertes, sans débat parlementaire. Nous notons de plus que le Canada n’a pas exprimé de réserves relativement à des élargissements similaires du concept d’ES dans le modèle de convention fiscale de l’OCDE. Néanmoins, on espère que le Canada sera réticent à retirer ses réserves au sujet de l’ES, surtout parce que cela pourrait faire en sorte que le Canada cède de manière permanente certains droits d’imposition (puisque le retrait d’une réserve aux termes de l’IM se veut permanent).
Nouveau programme de travail de l’OCDE
Le 31 mai 2019, l'OCDE a publié son programme intitulé Programme of Work to Develop a Consensus Solution to the Tax Challenges Arising from the Digitalization of the Economy (le Programme de travail). Ce programme a été appuyé par le Canada et d’autres pays du G20, qui ont affirmé qu’ils allaient redoubler d’efforts pour trouver une solution de consensus et présenter un rapport final d’ici 2020. Le Programme de travail suivra l’approche basée sur deux piliers présentée dans la Note politique de l’OCDE publiée en janvier 2019 et le document de consultation publique publié en février 2019. S’ils sont adoptés, les concepts de chacun de ces piliers mèneront à des modifications importantes du système de fiscalité internationale du Canada.
Nous notons que les propositions aux termes des deux piliers ne visent pas uniquement les contribuables spécialisés dans le numérique ou les technologies, même si le Programme de travail traite de « numérisation ». En effet, dans le Rapport final 2015 de l’action 1 sur le BEPS, l’OCDE reconnaît que l’économie numérique s’impose de plus en plus comme l’économie au sens propre, de sorte qu’« il serait difficile, voire impossible, de l’isoler du reste de l’économie à des fins fiscales. »
Osler a présenté des observations [PDF] à l’OCDE en réponse au document de consultation publique. Nos commentaires portaient principalement sur l’incidence des propositions sur le cadre fiscal international, y compris les changements fondamentaux aux règles actuelles relatives à l’ES et à la répartition des bénéfices. Dans nos observations, nous avons souligné que l’OCDE ne devrait pas procéder à des révisions aussi importantes sans le fort consensus de la nette majorité des parties intéressées et avons présenté des propositions précises en matière de règlement de différends. À notre avis, le Programme de travail établit la barre haute, comme il se doit, soit que les 129 membres du Cadre inclusif arrivent à une solution de compromis d’ici la fin de 2020. Le cas échéant, cela pourrait lancer un processus, s’étalant sur plusieurs années, d’adoption de nouvelles règles par voie de législation nationale et de modification de conventions fiscales.
Premier pilier – révision du seuil d’ES et de la norme relative au lien de dépendance
Le premier pilier porte sur la répartition des droits d’imposition, y compris les règles sur le lien (ES) et la répartition des bénéfices (prix de transfert). Comme l’a reconnu précédemment l’OCDE dans la Note politique et le document de consultation publique, les propositions au titre de ce pilier pourraient élargir les droits du territoire d’origine ou du marché en matière d’imposition, même s’il n’y a pas de présence physique dans ce territoire, et elles iraient au-delà de la règle du lien de dépendance. Le Programme de travail a réitéré l’engagement du Cadre inclusif d’explorer les trois propositions distinctes à ce sujet, nommées dans le document de consultation publique :
- La proposition qui repose sur le concept de la « contribution de l’utilisateur », qui nécessiterait une révision des règles existantes relatives à la répartition des bénéfices et au lien, fondées sur la participation active de l’utilisateur. Cette proposition met l’accent sur la valeur créée par les entreprises fortement numérisées en développant une base d’utilisateurs actifs et engagés et ciblerait les plateformes de médias sociaux, les moteurs de recherche et les entreprises exerçant des activités dans l’économie à la demande.
- La proposition relative aux « biens incorporels de commercialisation », qui attribuerait les biens incorporels de commercialisation aux territoires de marché, ainsi qu’une part proportionnelle des revenus. Cette proposition nécessiterait des modifications aux règles actuelles relatives au lien et irait plus loin que l’exigence d’une présence physique dans le territoire, aurait une portée plus large que celle du modèle de participation des utilisateurs et viserait toutes les industries et pas seulement les modèles commerciaux à forte composante numérique.
- Le concept de « présence économique significative », qui établit une présence imposable ou un établissement virtuel stable, repose sur des revenus générés de manière soutenue dans un territoire et sur d’autres facteurs suggérant une présence économique significative, comme une importante base d’utilisateurs et le fait que la facturation et le paiement sont en monnaie locale, entre autres. La proposition relative à la présence économique significative a comme prémisse que le cadre fiscal international existant n’est pas adapté à l’objectif.
Le Programme de travail reconnaît que l’élargissement des droits du territoire d’origine en matière d’imposition donnerait lieu à la possibilité d’une double imposition et suggère que ces préoccupations soient réglées à l’aide de certains mécanismes de simplification, comme l’utilisation de résultats comptables en tant qu’indicateurs du profit global et d’une formule de répartition mondiale proportionnelle. Le Canada se sert d’une méthode de répartition fondée sur le revenu et les salaires pour répartir le revenu entre les provinces. La proposition de l’OCDE sera beaucoup plus complexe, puisqu’elle inclura des territoires dont les systèmes fiscaux sont bien différents, utilisant des devises différentes et des niveaux de capacité d’administration fiscale différents.
Puisque la législation fiscale du Canada et ses conventions fiscales dépendent largement de la norme de lien de dépendance pour l’établissement du prix de transfert et que les seuils d’activité et d’établissement stable (dans le cas des conventions fiscales) pour établir la compétence du Canada en ce qui concerne l’imposition des non-résidents, la mise en œuvre de l’une ou l’autre des propositions du premier pilier exigera des modifications importantes à la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») et aux conventions fiscales du Canada.
Deuxième pilier – impôt minimal mondial
Le deuxième pilier visera à régler les enjeux qui persistent en matière de BEPS, en élaborant deux règles interreliées qui assureront que toutes les entreprises multinationales paient un niveau d’impôt minimal, qu’elles exercent ou non leurs activités dans l’économie numérique. La formulation actuelle de la proposition au titre de ce pilier comprend une règle d’inclusion de revenu qui ferait en sorte d’imposer le revenu d’une division étrangère ou d’une entité contrôlée si ce revenu est assujetti à un taux effectif inférieur à un certain taux minimal, et de refuser une déduction ou d’imposer une retenue d’impôt sur des paiements ayant pour effet d’éroder la base d’imposition, à moins que le paiement soit assujetti à un taux correspondant au moins au taux minimal précisé. Dans le communiqué accompagnant le Programme de travail, l’OCDE mentionne que ce pilier fournira aux pays un nouvel outil leur permettant de protéger leur assiette fiscale contre le transfert de bénéfices vers des territoires à imposition faible ou nulle.
Aux termes des règles actuelles de la LIR, le revenu d’une « société étrangère affiliée contrôlée » d’un contribuable canadien tiré d’une entreprise en exploitation dans un territoire ayant conclu une convention fiscale est généralement dispensé de l’imposition canadienne au niveau des actionnaires, peu importe le taux d’imposition applicable dans le pays étranger. De plus, l’application de la retenue d’impôt aux termes de la partie XIII de la LIR (et la disponibilité des exemptions aux termes de la LIR et des conventions fiscales du Canada) ne dépend généralement pas du taux auquel un paiement est imposé dans le territoire de destination. Par conséquent, la mise en œuvre de ces propositions aux termes du deuxième pilier exigera des modifications importantes de la LIR et des conventions fiscales du Canada. Divers défis administratifs pourraient également se présenter, comme l’incapacité potentielle d’un payeur d’établir le niveau d’impôt payé par le destinataire du paiement.
Programme de travail de l’OCDE – prochaines étapes
L’OCDE a l’intention d’élaborer des recommandations sur les éléments principaux des deux piliers au début de 2020 et prévoit publier un rapport final à la fin de 2020 (ce qui respecte l’échéancier appuyé par le G20). Nous comprenons qu’une solution de compromis sera également recherchée à la rencontre du G7 en France en juillet 2019, à la rencontre des ministres des Finances du G20 prévue en octobre 2019 et enfin à une rencontre des 129 pays membres du Cadre inclusif à la fin de janvier 2020.
En cas de consensus, il faudra un certain temps pour que chaque pays apporte les modifications requises à ses lois nationales et pour que le réseau des conventions fiscales adopte la solution consensuelle. L’OCDE a noté la possibilité que les pays adoptent des modifications liées aux conventions fiscales par addenda à l’IM, qui serait ensuite ratifié à l’aide de procédures similaires à celles qui ont été suivies pour ratifier l’IM; cependant, l’OCDE a également noté que des négociations distinctes pourraient être requises en ce qui concerne les conventions conclues avec des pays qui n’ont pas signé l’IM (comme les États-Unis).
Nous continuerons de suivre l’avancement du Programme de travail de l’OCDE et d’autres événements fiscaux à l’échelle internationale qui pourraient intéresser les Canadiens et Canadiennes. Si vous avez des questions sur la fiscalité internationale ou d’autres questions fiscales, veuillez communiquer avec un membre du groupe de droit fiscal d’Osler.