Perspectives juridiques Osler 2025

Présentation de nos perspectives juridiques Présentation de nos perspectives juridiques

4 décembre 2025 16 MIN DE LECTURE

Dans leurs articles de Perspectives juridiques Osler de 2024, nos auteurs ont présenté leurs réflexions sur les principales évolutions juridiques de l’année dernière et donné des conseils et leur point de vue sur les stratégies à adopter dans ce contexte. Nous avions prédit que l’élection de Donald Trump entraînerait des changements considérables. Nous avions également signalé l’importance de la montée fulgurante de l’intelligence artificielle (IA). Ces deux prédictions se sont réalisées, peut-être même au-delà de tous les pronostics. Au moment de la rédaction de cette publication l’année dernière, l’issue des élections fédérales canadiennes était encore inconnue. À l’instar de nombreux autres observateurs, nous avons sous-estimé les effets potentiels d’un nouveau gouvernement fédéral canadien.

L’examen des articles rédigés par nos collègues cette année fait ressortir trois thèmes principaux, étroitement liés aux tendances que nous avions mises en évidence en 2024. Premièrement, bien qu’elle soit un sujet de discussion récurrent depuis 2023, l’intelligence artificielle occupe désormais une place prépondérante dans les débats juridiques, politiques et commerciaux, et ce, de manière totalement inédite. Le rythme du changement est vertigineux. Cette année, l’IA est le thème central d’un certain nombre de nos articles. Le deuxième thème concerne les répercussions initiales et persistantes sur le Canada que causent les bouleversements rapides et importants de l’ordre mondial. Notamment, le changement radical des États-Unis dans leur pratique du commerce et des relations politiques, dans un climat de constante incertitude, exige une adaptation rapide dans de nombreux domaines touchés par les relations transfrontalières. Enfin, malgré les bouleversements observés dans certains domaines, bon nombre de nos articles rendent compte de l’évolution juridique « habituelle » qui se poursuit sous la forme de modifications législatives et réglementaires et de décisions judiciaires importantes.

Au moment d’aborder la nouvelle année, ces enjeux continueront de prévaloir dans l’économie et le milieu des affaires canadiens. L’avenir est marqué par une incertitude accrue et d’autres changements rapides. Les entreprises doivent prendre les mesures nécessaires pour faire face à ces évolutions et à leurs répercussions sur leurs activités et leurs clients. Si l’intelligence artificielle offre des possibilités considérables de réaliser des gains en efficience, son utilisation soulève également de sérieuses préoccupations lorsque son utilisation n’est pas dûment encadrée et surveillée. Les initiatives « Bâtir le Canada » et « Achetez canadien », qui dominent actuellement la scène politique nationale, continueront d’influencer les orientations juridiques et réglementaires. Les relations commerciales avec les États-Unis et d’autres partenaires continueront inévitablement d’évoluer. Ceux qui sont prêts à réagir et à répondre rapidement à ces changements seront les mieux placés pour tirer parti des nouvelles occasions qui se présenteront.

L’IA est une force dominante avec laquelle il faut désormais composer

L’IA est apparue de manière spectaculaire dans le langage courant en 2023. Les prédictions d’un remplacement à court terme de nombreuses fonctions et activités humaines à grande échelle étaient manifestement exagérées. Cependant, à l’approche de 2026, l’IA est devenue si sophistiquée que de nombreuses entreprises font désormais appel à l’IA agentive, qui remplace les agents humains par des outils informatiques capables de planifier, de raisonner et d’agir de manière autonome. Ces outils soulèvent d’importantes questions juridiques dans des domaines tels que la propriété intellectuelle, la protection des renseignements personnels, la gestion des données, les contrats, la fiscalité et bien d’autres.

L’IA transforme de plus en plus la représentation juridique, en particulier la rédaction et la présentation de documents judiciaires devant les tribunaux de tout le pays. Si elle présente de possibles avantages, comme un meilleur accès à la justice, elle pose également aux tribunaux d’importants défis déontologiques. Les gains en efficience offerts par l’IA peuvent être compromis par les erreurs et les hallucinations que provoquent régulièrement les outils d’IA générative. Il en résulte des enjeux considérables pour les avocats, pour les clients dont les dossiers pourraient être compromis et pour l’évolution rigoureuse du droit. Les tribunaux et les organismes de réglementation introduisent actuellement de nouveaux outils visant à pallier ces difficultés.

L’IA soulève également d’importantes questions sur la propriété et l’utilisation des œuvres protégées par le droit d’auteur dans le cadre des ensembles de données d’apprentissage des modèles d’IA. Les tribunaux aux États-Unis et au Canada commencent à s’intéresser à l’application appropriée des lois existantes sur le droit d’auteur, ainsi qu’à la possibilité de recourir aux doctrines de l’usage loyal (fair use) et de l’utilisation équitable pour répondre aux allégations de contrefaçon. Une réforme législative pourrait être envisagée.

Le gouvernement fédéral cherche à positionner le Canada à l’avant-garde de la révolution de l’IA. Cette démarche passera probablement par une stratégie à multiples facettes mise en œuvre au moyen d’une réforme législative, de politiques et d’investissements en matière de protection des renseignements personnels. Par-delà l’IA, il est probable de voir apparaître divers nouveaux cadres législatifs consacrés à la protection des renseignements personnels et des données, notamment une nouvelle loi fédérale applicable au secteur privé. Les entreprises actives au Canada devront procéder à une analyse approfondie de leurs pratiques de gestion des renseignements personnels et des données, et mettre en œuvre des plans de gouvernance bien documentés.

Le cadre fédéral en matière d’IA devrait en partie porter sur la souveraineté des données. Face à la croissance mondiale des données, aux préoccupations grandissantes en matière de sécurité nationale et de cybersécurité ainsi qu’à l’incertitude géopolitique, le gouvernement devrait adopter une approche visant à préserver et à protéger, dans une certaine mesure, les données canadiennes contre les ingérences ou accès de la part de territoires étrangers. Il devra trouver le juste équilibre entre la volonté de protéger les données canadiennes et le coût concurrentiel que représente pour les entreprises l’exclusion des fournisseurs de données étrangers.

La croissance accélérée de la demande en IA entraîne des conséquences importantes et concrètes pour les organismes provinciaux de réglementation de l’électricité et, indirectement, pour les contribuables. Les centres de données consomment des quantités colossales d’électricité pour alimenter les serveurs nécessaires au fonctionnement des outils d’IA, bien au-delà des capacités du réseau. Face à ces contraintes à court terme, les provinces sont obligées de revoir leurs politiques de longue date en matière de raccordement au réseau électrique. Ces politiques détermineront les modalités futures du raccordement au réseau pour les centres de données et d’autres gros consommateurs d’électricité pour 2026 et les années à suivre.

En réaction aux mutations mondiales, bâtir un Canada indépendant

La profonde transformation de ses relations avec les États-Unis a poussé le Canada à redoubler d’efforts pour assurer son indépendance et exploiter pleinement ses innombrables ressources et talents. Le nouveau gouvernement fédéral favorise activement la croissance économique et la réalisation de projets. Il a notamment créé le Bureau des grands projets, dont le mandat consiste à accélérer l’approbation réglementaire des projets d’intérêt national. L’initiative « Bâtir le Canada » est désormais un objectif prioritaire à l’échelle nationale et dans les provinces et territoires. Il reste à voir à quelle vitesse ces efforts permettront de susciter le changement et de réduire les contraintes réglementaires et les délais.

Ces mesures s’inscrivent au cœur de la réponse du Canada au revirement spectaculaire de la politique commerciale américaine. Le recours par les États-Unis à des pouvoirs d’urgence pour imposer des droits de douane à l’échelle mondiale, y compris sur les produits canadiens, a perturbé une grande partie du marché nord-américain. Il reste à voir ce que donneront les efforts déployés par le Canada pour atténuer ces répercussions au moyen de nouvelles relations commerciales, d’une réduction des barrières commerciales interprovinciales et d’initiatives visant à encourager l’achat de produits canadiens. L’incertitude persistera sans aucun doute, d’autant plus que l’accord commercial entre le Canada, les États-Unis et le Mexique arrive à échéance.

Les bouleversements dans les relations avec les États-Unis se répercutent largement sur les entreprises canadiennes, et pas seulement dans le domaine du commerce. La réorientation des priorités dans la lutte contre le crime économique et dans les politiques commerciales au Canada et aux États-Unis engendre une grande incertitude pour les entreprises, alourdit leur fardeau administratif et accroît leurs risques de non-conformité. Dans un contexte de perturbation des chaînes d’approvisionnement, elles devront impérativement évaluer et ajuster leurs programmes de conformité, notamment en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de surveillance continue.

Le gouvernement canadien adopte des politiques plus strictes de lutte contre le blanchiment d’argent et intensifie ses mesures d’application de la loi. En plus de la lutte contre le blanchiment d’argent, les institutions financières et les fournisseurs de services de paiement doivent composer avec des exigences plus strictes et l’évolution des cadres réglementaires. Ils devront par conséquent adopter des programmes rigoureux de gestion des risques. Des lignes directrices ont également été publiées concernant l’utilisation de l’IA par les institutions financières fédérales.

Les mesures nationales énergiques visant à mettre en œuvre de grands projets canadiens afin d’assurer la force et l’indépendance du pays pourraient se heurter à un nouvel obstacle sous la forme d’une jurisprudence canadienne récente reconnaissant un titre ancestral sur des terres faisant l’objet de droits privés de propriété. Les tribunaux ont indiqué que la meilleure voie pour la conciliation du titre ancestral et des droits privés de propriété est celle de la négociation entre la Couronne et les Premières Nations. Or, le titre ancestral est un droit antérieur et supérieur au titre de la Couronne sur les terres. Les conséquences de cette jurisprudence récente, qui restent à déterminer, pourraient porter atteinte aux intérêts privés sur des terres non cédées.

Les revirements politiques au nord et au sud de la frontière ont contraint le Canada à réajuster ses stratégies visant à s’imposer comme une puissance sur le marché mondial des véhicules électriques. Ce tournant a été influencé par la politique commerciale américaine, notamment les droits de douane, la suppression de certains incitatifs gouvernementaux, les défis persistants en matière d’infrastructures de recharge et les faillites très médiatisées dans l’écosystème des véhicules électriques. Cela dit, un certain nombre d’initiatives en cours, dont celles qui privilégient les minéraux critiques et les projets d’intérêt national, laissent croire que les ambitions du Canada en matière de véhicules électriques restent inchangées.

Les activités transactionnelles reprennent et les organismes de réglementation réagissent

L’élection de Donald Trump a été accueillie favorablement par les marchés boursiers qui anticipaient une réduction du fardeau réglementaire et un soutien à l’investissement. Malgré la vigueur des marchés boursiers, le volume global des opérations sur le marché canadien des fusions et acquisitions affiche une baisse, qui est toutefois compensée par une croissance importante de la valeur des opérations. Cela dit, la dynamique du marché, les défis réglementaires et la complexité des opérations sont autant de difficultés qui ralentissent la conclusion des opérations; il est donc primordial de porter une attention particulière à leur exécution. Même si les perspectives du marché des fusions et acquisitions au Canada restent incertaines, elles suivent une tendance positive après une reprise tardive au quatrième trimestre.

Les services financiers, un secteur en forte croissance dans le domaine des fusions et acquisitions au Canada, devraient poursuivre leur essor au cours des prochaines années. En 2025, des opérations importantes ont été annoncées ou conclues, surtout dans le domaine de la gestion de patrimoine et d’actifs. Bon nombre de ces opérations ont bénéficié de la participation de sociétés de capital-investissement. Un certain nombre d’acheteurs ont profité de la hausse des évaluations et de la forte confiance dans le cours de leurs actions pour utiliser des titres de capitaux propres comme contrepartie ou s’appuyer sur des émissions d’actions sur le marché pour financer les prix d’achat.

Outre les services financiers, les sociétés émettrices qui cherchent à restructurer leur portefeuille, à réduire leur endettement et à accéder à des capitaux se tournent vers de nouvelles structures. La formule de la coentreprise d’actifs présente un intérêt pour ceux qui cherchent à financer des programmes d’investissement importants et à long terme dans un contexte de taux élevés. Si elle est correctement mise en œuvre, cette structure permet de lever des capitaux importants, tandis que l’émetteur conserve le contrôle opérationnel des infrastructures essentielles à ses activités. Il faut toutefois tenir compte des difficultés de gouvernance et des éventuelles contraintes opérationnelles.

Une autre solution qui permet aux entrepreneurs d’obtenir des capitaux est le fonds de repreneuriat. Avec cette structure, un repreneur peut mobiliser des capitaux pour financer la recherche d’une cible d’acquisition. Une fois celle-ci identifiée, il peut ensuite lever des capitaux additionnels pour l’acquisition et l’exploitation de l’entreprise. Avec la popularité croissante des fonds de repreneuriat au Canada, il devient nécessaire de prêter une attention particulière aux incidences fiscales transfrontalières et aux différentes possibilités de structure afin d’assurer durablement le succès tant du repreneur que du fonds de repreneuriat.  

Aux réunions du conseil, les administrateurs ont également dû composer avec un environnement en pleine mutation. Au Canada, la gouvernance d’entreprise consiste depuis peu à réagir à la dynamique des politiques américaines et à leurs répercussions sur les enjeux de diversité et de développement durable. D’autre part, l’engagement des actionnaires et la communication avec les parties prenantes demeurent essentiels pour gérer l’incertitude et assurer la stabilité de l’entreprise afin de créer de la valeur à long terme.

Les actionnaires activistes peuvent toutefois compromettre ces objectifs en cherchant à introduire des leviers à court terme pour faire grimper le cours de l’action par le biais de campagnes axées sur la composition du conseil d’administration. Souvent, il est possible de conserver une position défensive à l’aide d’une stratégie d’entreprise cohérente et d’un plan de gouvernance convaincant. Face à une opération hostile, les émetteurs disposent généralement d’un outil efficace, à savoir l’adoption d’un plan de droits des actionnaires. Pour atténuer le risque d’une décision réglementaire défavorable envers ce régime, il importe qu’il soit conforme aux exigences des autorités de réglementation et qu’il repose sur une justification convaincante.

Parallèlement, les autorités de réglementation en valeurs mobilières ont adopté une position modérée, en ne prenant des mesures d’application de la loi que dans les seuls cas où les investisseurs subissent un préjudice disproportionné ou lorsque l’intégrité des marchés est compromise. Les autorités de réglementation canadiennes ont engagé des poursuites dans des affaires de placements illégaux, d’activités de négociation sans enregistrement, de déclarations et de promotions trompeuses, de fraude, d’utilisation abusive des actifs de fonds d’investissement, de délits d’initié et de communication d’informations privilégiées. Cette tendance devrait se poursuivre, mais les autorités de réglementation devront continuer de surveiller attentivement l’orientation politique des autorités américaines en valeurs mobilières.

Le marché des cryptomonnaies attire toujours autant l’attention des autorités de réglementation en valeurs mobilières et des institutions financières. Pour la première fois de l’histoire du secteur au Canada, il est probable que soit adoptée une loi fédérale visant expressément à réglementer les cryptomonnaies stables. Il est également prévu d’étendre la réglementation des cryptoactifs au Canada sous le régime des lois sur les valeurs mobilières. Les pressions liées à la mise en application et à la conformité devraient s’intensifier à mesure que les plateformes de négociation s’intègrent au cadre réglementaire de l’Organisme canadien de réglementation des investissements, et que les régimes de déclaration entreront en vigueur.

L’évolution de la réglementation se poursuit

Les modifications apportées à la législation sur la concurrence au Canada l’année dernière produisent déjà des effets concrets. Les transactions font l’objet d’un examen plus étroit, et les parties à une fusion doivent être particulièrement proactives. Il sera nécessaire de dissiper les incertitudes que suscitent les modifications apportées à la disposition civile régissant les accords commerciaux. Les répercussions du nouveau droit d’action privé et le sort des nouvelles sanctions administratives pécuniaires maximales prévues par certaines dispositions civiles se préciseront au cours de la prochaine année.

Parallèlement, on observe actuellement dans tout le pays une importante réforme de la protection des consommateurs. Plusieurs provinces ont instauré une série de nouvelles exigences et restrictions à l’intention des fournisseurs faisant directement affaire avec des consommateurs. Pour se préparer à ces changements, les fournisseurs devront examiner les clauses des contrats conclus avec leurs clients, simplifier leurs pratiques d’information préalable à la conclusion d’un contrat, revoir leurs procédures de consentement et de résiliation et mettre à jour leurs politiques de conformité dans l’ensemble de leurs activités.

Dans un autre domaine touchant les consommateurs, il faut noter qu’en 2025, le tribunal a approuvé trois plans historiques de transaction ou d’arrangement en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) pour trois fabricants et distributeurs canadiens de produits du tabac. Ces plans constituent un règlement satisfaisant de multiples poursuites judiciaires en cours ou imminentes, contre les fabricants de tabac liés aux dommages causés par leurs produits. Cette restructuration à l’échelle de l’industrie a duré six ans et a jeté les bases du recours à la LACC aux fins du règlement des réclamations futures visant l’industrie.

Parmi tant d’autres survenus en 2025, ces avancées importantes sur le plan juridique et commercial ouvrent la voie à la poursuite des réformes en 2026. Compte tenu de l’incertitude politique exacerbée et persistante dans les relations commerciales et politiques entre le Canada et les États-Unis, les nombreux efforts déployés pour maintenir un Canada fort et libre seront bien accueillis par une grande partie de la population. Nous gardons bon espoir de voir les efforts consentis dans le cadre de l’initiative « Bâtir le Canada » porter leurs fruits en 2026 et par la suite. Il faudra sans aucun doute redoubler de vigilance pour maîtriser les effets du développement rapide de l’IA. Quelles que soient les circonstances, les entreprises devront continuer à exercer leurs activités « comme à l’habitude ». En même temps, elles devront aussi demeurer prêtes à affronter l’imprévu. C’est en adoptant une approche pragmatique dans leurs initiatives et leur planification qu’elles se donneront les meilleures chances d’assurer leur réussite future. Nous espérons que vous trouverez intéressants nos nouveaux articles de Perspectives juridiques Osler. Comme toujours, ce sera avec plaisir que nous échangerons avec vous de ces évolutions et de leurs incidences sur votre entreprise.