Rétrospective de l’année juridique 2021 – Introduction

23 Déc 2022 13 MIN DE LECTURE

Au début de l’année, nous espérions qu’au moment de rédiger l’édition 2021 de cette publication, nous ne serions plus aux prises avec les effets de la COVID-19. Alors que cette deuxième année de crise sanitaire touche à sa fin, 2021 aura été, comme 2020, historiquement marquante. Malgré la persistance de la pandémie, nous sommes ravis de vous présenter des bulletins d’actualités exposant des évolutions importantes sur le plan du droit et des affaires dans un large éventail de secteurs et de domaines de pratique, dont beaucoup n’ont aucun lien avec la COVID-19. Nous considérons cela comme un signe encourageant de début de retour à la normale.

De fait, nombre de nos collègues ont choisi de s’exprimer sur la « nouvelle normalité » ou le « retour à la normale » ; mais qu’est-ce que cela veut dire dans le contexte de 2021? D’une part, beaucoup d’employés ont continué à travailler à distance en raison des confinements et des restrictions à répétition imposés au gré de l’évolution du taux d’infection. Le retour au bureau a démarré doucement, mais reste compromis par l’apparition de nouveaux variants, malgré le déploiement rapide des vaccins. Toutefois, cette situation n’a pas eu d’incidence sur les opérations. Au contraire, le marché des fusions et acquisitions a fait preuve d’un dynamisme inégalé et l’activité sur les marchés financiers a été exceptionnelle, l’année 2021 étant l’une des plus prolifiques en matière de premier appel public à l’épargne de l’histoire du Canada. Toutefois, malgré la multiplication étonnante des opérations, de nombreuses entreprises ont continué à faire face à des défis importants en raison de la pandémie. C’est dans ce contexte que nous avons le plaisir de vous présenter l’ensemble de nos réflexions sur les principales évolutions sur le plan du droit et des affaires de l’année écoulée dans notre huitième Rétrospective de l’année juridique.

Plusieurs thèmes clés sont ressortis lors de la préparation de cette édition ; le premier étant que, manifestement, les affaires reprennent dans les entreprises canadiennes. L’augmentation du volume des opérations et la croissance fulgurante des nouveaux secteurs de l’économie (y compris, par exemple, la technologie, les cryptomonnaies et l’intelligence artificielle) ont particulièrement marqué l’année 2021. Le deuxième thème concerne les défis auxquels les entreprises canadiennes font toujours face : perturbations importantes de la chaîne d’approvisionnement, problèmes de rétention de la main-d’œuvre, débats sur les politiques de vaccination obligatoire et difficultés à ramener au bureau en toute sécurité un personnel disparate. Troisièmement, on observe que les entreprises, les investisseurs et les gouvernements accordent plus d’attention aux questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Enfin, les gouvernements se sont remis à légiférer et les tribunaux à rendre des décisions, ce qui a donné lieu à des évolutions réglementaires majeures et à des décisions clés évoquées dans plusieurs de nos articles.

Comme le souligne Stephen Poloz, notre respecté conseiller spécial et ex-gouverneur de la Banque du Canada, la pandémie a eu un impact considérable sur l’économie canadienne, qui, en conséquence, connaît de nombreux changements. Certains sont de nature transitoire – tels que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et l’augmentation généralisée des prix qui en découle – et d’autres s’inscriront probablement dans la durée, comme l’évolution des modalités de travail. Dans certains secteurs, il se pourrait bien que les employés ne retournent jamais au bureau à plein temps. Reste à savoir quelles seront les répercussions sur l’environnement commercial et juridique canadien à plus long terme.

L’activité extraordinaire en matière de transactions observée en 2021 a été stimulée par des conditions économiques favorables. Parallèlement, plusieurs décisions importantes qui ont été rendues ou sont encore en cours d’examen devraient avoir des répercussions majeures sur la pratique des fusions et acquisitions au Canada, en particulier, celles relatives aux « occasions d’affaires manquées ». Le secteur des marchés financiers et des valeurs mobilières a également connu de profondes évolutions, puisque les organismes de réglementation canadiens s’efforcent de faire avancer leurs initiatives de réduction du fardeau réglementaire, tout en apportant une réponse à l’explosion de l’activité de marché.

Les émetteurs ont été nombreux à vouloir faire leur entrée sur le marché boursier ou à profiter des conditions de financement pour réunir des capitaux. Les sociétés technologiques ont notamment mené la valse des premiers appels publics à l’épargne, y compris dans les technologies de la santé. Dans le domaine des soins de santé, les entreprises cliniques ont également fait l’objet d’un intérêt prononcé pour des opérations de regroupement de la part d’acheteurs canadiens et étrangers. Dans le même temps, d’autres émetteurs, tels que les petites sociétés minières, ont continué à éprouver des difficultés sur le plan de la mobilisation de fonds, tant en raison de la dynamique du marché que des limitations réglementaires. Devant la concurrence accrue des marchés boursiers, l’investissement privé a réagi en proposant de nouveaux produits et structures de fonds conçus pour offrir aux gestionnaires une plus grande flexibilité et donner un choix plus vaste aux investisseurs.

La prédominance des émetteurs technologiques sur les marchés des capitaux fait écho à l’importance accrue accordée à l’innovation pour l’économie canadienne, ce qui a donné lieu à des développements notables dans plusieurs secteurs. Avec l’augmentation spectaculaire de l’intérêt pour les cryptomonnaies dans le monde, les autorités de réglementation ont pris des d’importantes mesures pour réglementer les entreprises de cryptoactifs offrant leurs produits ou services aux Canadiens. D’autres pans de l’économie de l’innovation ont également connu de beaux progrès en 2021, notamment l’intelligence artificielle. La question de savoir à qui appartient la propriété intellectuelle développée par l’intelligence artificielle (IA) a nourri des débats animés chez les législateurs du monde entier, et l’acquisition de sociétés d’IA a fait également naître des enjeux uniques et importants sur le plan des vérifications préalables et des conditions régissant les opérations pour les acquéreurs potentiels.

Avec la reprise de l’activité, les entreprises ont commencé à planifier leurs stratégies de retour au bureau. Si certaines ont reporté l’échéance, même temporairement, jusqu’en 2022, beaucoup ont déjà commencé à ramener les salariés sur leur lieu de travail. Sous l’impulsion du déploiement massif des vaccins contre la COVID-19 et de la disponibilité généralisée des tests, les employeurs et les employés commencent donc à revenir dans les tours de bureaux des centres-villes. Cependant, ce phénomène soulève d’importantes questions juridiques pour les employeurs. En dehors de ces préoccupations liées à COVID-19, les autorités de réglementation et les tribunaux ont mis en place des changements et rendu des décisions qui seront déterminantes pour l’organisation du travail à l’avenir. Les employeurs doivent également se confronter aux enjeux liés à la rémunération, qui sont susceptibles d’avoir un impact sur le comportement et les rendements, en particulier pour les dirigeants.

Parallèlement, les entreprises et les consommateurs se sont heurtés à de lourds obstacles, notamment en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales et des augmentations de prix des biens qui en ont résulté. Les fournisseurs et les clients ont eu le plus grand mal à trouver et à garantir un approvisionnement régulier et en temps voulu. Ce contexte de tension sur l’offre accroît l’exposition et la vulnérabilité à des activités criminelles potentielles. Les entreprises doivent donc rester vigilantes et se concentrer sur la mise en œuvre et le maintien de programmes de conformité solides afin d’écarter les risques de corruption.

Les restrictions frontalières, les problèmes de chaîne d’approvisionnement et les désaccords politiques ont eu un impact évident sur le commerce canadien. Cependant, les gouvernements ont pour la plupart cherché à préserver le statu quo en élargissant les traités commerciaux existants, en poursuivant la négociation de nouveaux accords et en renforçant les sanctions et les règles relatives aux droits de la personne.

En dépit des difficultés persistantes, beaucoup ont saisi l’occasion cette année de se focaliser sur le changement et l’amélioration. Les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance semblent avoir été dans tous les esprits en 2021, les gouvernements, les entreprises, les investisseurs et les consommateurs s’appropriant davantage les sujets ESG. Ces derniers ont concerné les questions de communication d’information par les entreprises, les considérations environnementales (changement climatique), la promotion de la finance durable (en particulier pour les fonds de pension) et la gouvernance d’entreprise. Dans ce dernier domaine, la saga du conseil d’administration de Rogers Communications a également mis en lumière les défis actuels dans le contexte des structures d’actions à double catégorie.

Étant donné que la Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre et que le gouvernement réélu a érigé le changement climatique en priorité, nous pouvons nous attendre à ce que les initiatives climatiques soient au cœur des préoccupations en 2022 et au-delà. À ce titre, l’imposition de restrictions sur les émissions de gaz à effet de serre aux responsables des projets pétroliers et gaziers dans l’Ouest canadien est un élément clé de l’arsenal climatique du gouvernement. La transition énergétique, y compris l’utilisation de technologies nouvelles et en plein essor, telles que la capture du carbone et l’hydrogène, sera essentielle pour progresser vers les objectifs déclarés du gouvernement fédéral.

Par ailleurs, la réconciliation avec les peuples autochtones du Canada constitue un autre défi majeur pour les autorités. Malgré le coup porté par la découverte tragique de sépultures non marquées sur des sites d’anciens pensionnats, des progrès ont été réalisés dans l’amélioration des relations avec les peuples autochtones. L’octroi de la sanction royale au projet de loi fédéral visant à adopter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP) constitue ainsi une avancée majeure. En outre, plusieurs décisions clés devraient avoir des répercussions importantes sur le développement des infrastructures et des ressources, exigeant une consultation exhaustive sur les droits ancestraux et les droits issus de traités, ainsi que la promotion de partenariats avec les groupes autochtones dans les années à venir.

Les gouvernements provinciaux ont également fait avancer les initiatives réglementaires dans d’autres domaines de premier plan. Combinés aux décisions majeures rendues par divers tribunaux, ces développements seront probablement décisifs pour les entreprises et les consommateurs à l’avenir.

Un des sujets phares de l’année 2021 a concerné la réforme juridique profonde de la protection des renseignements personnels. Le projet de loi no 64 du Québec est la plus aboutie de ces initiatives. Il entrera progressivement en vigueur au cours des trois prochaines années et modifiera considérablement l’approche de la protection des renseignements personnels dans la province. En particulier, cette mesure – ainsi que d’autres mesures envisagées aux niveaux provincial et fédéral – pourrait exposer les entreprises à des pénalités, des risques et des coûts de conformité élevés. Plus que jamais, il sera donc nécessaire d’adopter une approche proactive visant à garantir que les entreprises mettent en œuvre des mécanismes solides de respect de la vie privée.

Le Québec apporte également des modifications importantes aux lois sur la langue française dans la province. S’il est promulgué, le projet de loi no 96 du Québec pourrait aussi imposer des obligations coûteuses aux sociétés qui font des affaires dans la province.

Les modifications réglementaires touchent également le secteur du jeu. La décision du gouvernement fédéral de légaliser les paris sur un seul événement sportif a été une étape majeure, qui est arrivée au moment opportun pour les exploitants privés qui se positionnent afin de tirer profit du nouveau marché des jeux en ligne en Ontario. Cette initiative de jeux en ligne, dont le lancement est prévu début 2022 dans la province, sera la première au Canada autorisant les exploitants privés à proposer des jeux sur Internet aux joueurs sous la supervision de l’organisme de réglementation provincial. Il est attendu que ce nouveau modèle ouvre la voie à des programmes semblables dans d’autres provinces.

Sur le plan national, d’importantes évolutions réglementaires se profilent dans le secteur des services financiers. Il s’agit notamment de modifications des règles de lutte contre le blanchiment d’argent, de la réglementation et de la modernisation des paiements, du système bancaire ouvert et des cryptomonnaies. La convergence de différentes réformes et initiatives visant à réglementer certains secteurs précis de l’écosystème financier qui étaient auparavant peu ou pas du tout réglementés a été l’un des principaux thèmes de la réglementation des services financiers en 2021.

La réforme de la fiscalité internationale représente aussi une démarche majeure pour les gouvernements du monde entier, qui militent pour un partage approprié des recettes fiscales dans un contexte post-pandémie où de nombreux États ont besoin de financer des plans économiques. Nous avons constaté des progrès à cet égard en 2021. La Cour suprême du Canada a également rendu plusieurs décisions importantes concernant la fiscalité transfrontalière, et pourrait s’exprimer de nouveau en 2022. Ces exemples donnent des orientations clés pour les entreprises en ce qui concerne la planification fiscale à l’avenir.

Plusieurs grandes décisions dans d’autres domaines pourraient également toucher les entreprises. Outre celles mentionnées précédemment, l’année 2021 a été marquée par des décisions judiciaires et administratives notables en matière de réglementation de l’insolvabilité et de l’application des lois sur les marchés des capitaux.

Les tribunaux ont également été extrêmement actifs dans le champ des actions collectives, en se dotant d’outils qui permettent un filtrage efficace des actions collectives pour atteinte à la vie privée dénuées de fondement, au moment ou avant la phase de certification. Concernant les actions collectives en valeurs mobilières, les tribunaux ont également montré une volonté de s’engager dans une évaluation poussée aux premiers stades de la procédure, en particulier en confirmant l’utilité du critère d’autorisation en tant qu’outil de filtrage solide dans le cadre de fausses déclarations sur le marché secondaire. Enfin, des développements importants se sont produits en Colombie-Britannique, où les tribunaux ont confirmé que les défendeurs devraient avoir le droit de demander l’élimination ou une réduction de l’étendue des recours dénués de fondement au moyen de requêtes en radiation ou de requêtes relatives à la compétence, avant la détermination de la certification de l’action collective.

Comme vous pouvez le constater, l’année 2021 a été incroyablement riche en événements dans de multiples secteurs. Pour 2022, nous espérons continuer notre chemin vers une existence plus « normale » (quelle qu’elle soit), alors que les taux de vaccination progressent, que le nombre de cas continue à diminuer, que les troisièmes doses sont lancées et que de plus en plus d’entreprises cherchent à établir les nouvelles règles du jeu. Reste à savoir à quoi le monde d’après ressemblera, mais nous sommes convaincus que l’année prochaine apportera son lot de développements juridiques et commerciaux captivants et stimulants.

Nous vous souhaitons une bonne lecture de la Rétrospective de l’année juridique. Comme toujours, nous serons heureux d’en discuter avec vous.