Rétrospective de l’année juridique 2020: Introduction

8 Déc 2020 15 MIN DE LECTURE

Sans aucun doute, l’année 2020 n’a été à nulle autre pareille. Il est inévitable que la pandémie de COVID-19 et les répercussions de celle-ci apparaissent comme le thème de plusieurs des articles de notre septième Rétrospective de l’année juridique. Parallèlement, les entreprises de nos clients et les lois qui les régissent ont évolué de façons qui n’ont pas de liens avec la pandémie, mais également malgré la pandémie. Dans certains cas, les défis posés par la COVID-19 ont fait accélérer les changements déjà en cours, créant ainsi des avantages et des occasions qui pourraient s’étendre bien au-delà de la pandémie. Nous avons le plaisir de vous présenter nos opinions colligées sur les faits nouveaux les plus importants survenus sur les plans juridique et commercial pendant la dernière année.

L’année 2020 a mis en évidence une nette et malheureuse dichotomie dans notre économie. L’aperçu économique, signé par Stephen Poloz, notre estimé conseiller spécial et ex-gouverneur de la Banque du Canada, aborde la reprise en « K ». La branche supérieure du « K » représente les parties de l’économie qui ont subi un fléchissement au cours des premiers jours ou des premières semaines du confinement, mais qui se redressent maintenant ou qui l’ont déjà fait. Ce groupe comprend les entreprises axées sur le capital intellectuel qui, dans bien des cas, ont été en grande partie épargnées par la pandémie grâce à leur capacité à s’adapter à un contexte de télétravail ou de service de livraison. Même si certaines parties de cette économie risquent de faire face à un « double creux », étant donné que la deuxième vague du virus mène à de nouveaux confinements et à de nouvelles restrictions, cette économie est résiliente et se redressera sans aucun doute. À l’autre extrémité du spectre économique, on trouve les entreprises qui constituent la branche inférieure du « K » : les commerces de détail, les restaurants, les bars, les compagnies aériennes, les hôtels et les autres entreprises qui nécessitent des interactions en personne. Ces entreprises pourraient avoir subi des préjudices irréparables. Sous différents aspects, cet aperçu économique constitue la toile de fond de plusieurs faits nouveaux abordés par nos auteurs.

Par exemple, le secteur de la vente au détail traditionnelle se situe, de façon générale, dans la branche inférieure du « K ». Étant donné les fermetures ordonnées par le gouvernement, de nombreux détaillants n’ont pas été en mesure d’exploiter leur entreprise de manière rentable, ou même de l’exploiter tout court. Certains se sont tournés vers d’autres mécanismes de livraison, comme la cueillette à l’auto ou le cybercommerce, mais de nombreux détaillants n’ont pas réussi à s’adapter. Malgré le vaste soutien assuré par le gouvernement, de nombreuses entreprises ont été forcées de se restructurer ou de carrément fermer leurs portes. Par contre, dans la branche supérieure du « K », le secteur minier canadien a subi des fléchissements au début de la pandémie, mais a (grandement) profité par la suite de hausses spectaculaires du prix des produits de base et, plus particulièrement, d’une envolée du prix de l’or, valeur refuge. 

L’autre force importante à l’origine du changement en 2020 est du domaine social, soit une hausse sans précédent de l’attention portée à la diversité et à l’inclusion, sans lien avec la pandémie de COVID-19. Cela découle, en grande partie, des événements terribles survenus aux États-Unis et qui ont insufflé une nouvelle énergie au mouvement « Black Lives Matter », et à la lutte contre le racisme envers les Noirs aux États-Unis et au Canada. 

Même si cela n’a pas (encore) entraîné de modifications importantes aux lois du Canada, la création du Conseil canadien des chefs d’entreprise contre le racisme systémique envers les Noirs et de son « Initiative BlackNorth » ont donné lieu à de grands débats sur le racisme systémique et à des actions positives pour l’éradiquer. L’engagement des PDG dans le cadre de l’Initiative BlackNorth, qui exige de cibler des personnes des collectivités noires, autochtones et de couleur lors de l’embauche, n’est qu’un exemple des mesures mises en œuvre pour favoriser la diversité dans les milieux juridiques et des affaires du Canada. 

Entre-temps, comme nous l’avons vu dans notre article sur la gouvernance d’entreprise, les efforts visant à accroître la mixité au sein des conseils d’administration ont remporté un modeste succès, mais peu de progrès ont été constatés dans l’atteinte d’une plus grande diversité. De plus, des modifications apportées récemment à la Loi canadienne sur les sociétés par actions concernant la divulgation en matière de diversité semblent avoir eu peu d’effets en 2020. 

À part les décrets d’urgence (en grande partie provisoires) imposant des confinements ou des restrictions semblables, en 2020, la plupart des développements juridiques associés à la pandémie de COVID-19 n’ont pas pris la forme de modifications aux lois ou aux règlements. On a plutôt assisté à des rajustements à grande échelle des pratiques dans le cadre juridique en place ou à des changements transactionnels visant à contrer les effets de la pandémie.

L’un des principaux rajustements a été le passage du contexte en personne au contexte virtuel. Les cours de justice et les autres tribunaux du pays ont procédé aux rajustements nécessaires pour accueillir de manière virtuelle les audiences, les dépositions et autres procédures. Les mesures de confinement mises en place ont empêché la tenue d’assemblées annuelles d’actionnaires en personne, ce qui a accéléré la tendance à la tenue d’assemblées par voie électronique, et même vers la tenue d’assemblées uniquement virtuelles. La signature électronique de documents, même si elle était de plus en plus courante avant la pandémie, est devenue le centre d’attention, par nécessité. La notarisation et l’attestation virtuelles de documents ont suivi de peu. De toute évidence, la technologie a joué un rôle clé en assurant que les domaines importants de l’économie, notamment le secteur juridique, poursuivent leurs activités. 

La technologie a également été le pivot des marchés financiers : les sociétés spécialisées dans la technologie sont devenues les « chouchous » du marché. La société de paiement Nuvei Corp. a réalisé le plus grand PAPE du secteur technologique du Canada en une année, et d’autres succès dignes de mention ont été enregistrés, dont un PAPE aux États-Unis pour Lightspeed POS Inc., et un important soutien aux actions de Shopify Inc. De même, les émetteurs du secteur technologique ont remporté un grand succès dans la mobilisation de capitaux privés et dans la conclusion d’opérations de vente, car les investisseurs cherchaient à tirer parti d’occasions de croissance. 

Étant donné que la technologie suscitait une forte demande et qu’elle jouait un rôle aussi crucial dans le contexte de la COVID-19, il n’est pas étonnant que des cabinets d’avocats rehaussent l’importance accordée à l’innovation au moyen de la technologie afin de mieux servir leurs clients. Plus particulièrement, les autres fournisseurs de services juridiques, qui se fondent essentiellement sur la technologie, comme « Osler à l’œuvre » et « Atelier Osler », ont enregistré une forte croissance qui devrait se poursuivre pendant la pandémie et au-delà. 

Cependant, la COVID-19 a tout autant créé des obstacles que des occasions. Au début, la pandémie a mené les parties à une opération à réévaluer leurs obligations en fonction de nouvelles incertitudes. Pour un certain nombre d’opérations de fusion et d’acquisition, en raison des changements véritables apportés par la pandémie ou (peut-être) en raison des remords des acheteurs, les acquéreurs ont cherché des façons de se soustraire à leurs engagements d’achat. Certains acheteurs ont fait valoir que la société cible avait enfreint les clauses d’exploitation pendant la période transitoire en ce qui a trait au respect du confinement imposé à cause de la pandémie. D’autres ont allégué que la société cible avait subi des « effets défavorables importants » ou des « changements défavorables importants » (CDI) qui permettaient à l’acheteur de se délier de ses obligations. Même si les clauses de CDI ont fait l’objet de procès dans une certaine mesure aux États-Unis, la jurisprudence sur l’interprétation de dispositions semblables est peu abondante au Canada. Plus particulièrement, les avocats en fusions et acquisitions s’intéresseront à l’issue de ces affaires, notamment, et surtout, le litige en cours entre Cineplex et Cineworld. 

Les parties contractantes commerciales ont fait et font encore face à des enjeux semblables. En ce qui concerne les contrats existants, certaines parties cherchaient à invoquer des clauses de cas de force majeure pour obtenir une exemption d’exécution. Cependant, le critère pour invoquer un cas de force majeure est élevé, et il est généralement nécessaire de démontrer que le cas de force majeure allégué a rendu impossible l’exécution des obligations contractuelles particulières que l’autre partie cherche à éviter. Dans la même optique, les effets de la pandémie de COVID-19 sur leurs entreprises et leurs finances ont forcé de nombreux émetteurs à solliciter du soutien ou une exemption auprès de leurs prêteurs à l’égard des clauses qu’ils ne pouvaient pas respecter, étant donné la fermeture des entreprises à la suite du confinement imposé par le gouvernement et d’autres pressions économiques exercées par la pandémie. Les négociations contractuelles ont été entamées par des discussions sur les moyens disponibles pour protéger une partie contractante contre l’insolvabilité potentielle de l’autre partie.

Même s’il est apparu au début que les autorités de réglementation étaient préoccupées par la possibilité que des investisseurs étrangers ne procèdent à des opérations « opportunistes », particulièrement dans les secteurs d’activité essentiels pour la santé et la sécurité des Canadiens, ou pour la stabilité économique, le gouvernement du Canada n’a pas pris de mesures visant à abaisser le seuil de l’examen obligatoire des investissements étrangers ou à en étendre la portée. Par principe, les organismes de réglementation ont laissé entendre que ces opérations pourraient être soumises à une surveillance accrue à l’intérieur des paramètres existants.

Les entreprises ont dû s’adapter au fait que les questions de réglementation en matière de santé et de soins de santé ont été placées au centre des préoccupations dans tous les secteurs, et pas seulement dans le secteur des soins de santé, ainsi que dans de nombreux aspects de l’exploitation. Depuis le statut essentiel des travailleurs de la santé de première ligne jusqu’à l’utilisation de services numériques en soins de santé, depuis les problèmes d’approvisionnement en équipement de protection individuelle jusqu’aux importantes mesures sanitaires visant à empêcher la propagation de la COVID-19, les questions de soins de santé et de règlements connexes ont suscité plus d’attention en 2020 que jamais auparavant. 

Ces considérations se sont également étendues (entre autres) aux relations d’emploi, ainsi qu’aux lois et aux normes applicables à ces relations. Les employeurs doivent faire face à de nouveaux enjeux et à de nouveaux niveaux en ce qui concerne la santé et le bien-être de leurs employés, tant dans leurs locaux qu’à distance. Les employeurs doivent également trouver des façons d’encourager la direction dans un monde où les paramètres de rémunération traditionnels ont été fortement ébranlés. Par ailleurs, les fermetures liées à la pandémie de COVID-19 ont constitué une menace pour les moyens de subsistance des employés et ont forcé les employeurs à maîtriser de complexes programmes de soutien fédéraux et provinciaux. De toute évidence, les questions de santé, de travail et d’emploi continueront de retenir l’attention dans un avenir prévisible, particulièrement du fait que notre société traverse une deuxième vague de la pandémie et peut-être d’autres encore, et qu’elle attend le déploiement de la vaccination.

Il revient en grande partie aux programmes gouvernementaux élaborés pour soutenir les employés et les employeurs au cours de cette période difficile, comme le fait remarquer Stephen Poloz, d’avoir empêché un ralentissement encore plus accentué de l’économie canadienne, et peut-être même la reprise en « L » tant redoutée. Les gouvernements envisagent des mesures de reconstruction de l’économie, en se concentrant sur les niveaux historiques d’investissements et de dépenses, surtout dans les infrastructures, ce qui s’est déjà révélé un moyen éprouvé pour stimuler la croissance de l’économie. Partout au pays, d’importants programmes gouvernementaux ciblant la construction et les infrastructures ont été mis en place, y compris dans les secteurs en développement, comme la production d’énergie renouvelable en Alberta, qui constituait déjà un point de mire avant la pandémie. 

On ne peut nier le fait que la COVID-19 a influencé de nombreux aspects du contexte commercial et juridique, et même des aspects essentiels de nos vies. Malheureusement, tout n’est pas terminé. Cependant, l’année 2020 ne s’est pas résumée à la pandémie. Dans certains secteurs, les activités se sont poursuivies comme d’habitude : des lois ont été modifiées, de façon marginale ou importante, des affaires ont fait l’objet de décisions, des consultations en matière législative ont eu lieu et des enquêtes réglementaires se sont poursuivies, bien que ce soit dans un contexte virtuel.

Par exemple, les gouvernements provinciaux et fédéral sont toujours en profond désaccord concernant la réglementation environnementale, surtout en ce qui a trait aux mesures visant le ralentissement des changements climatiques, et concernant l’autorité constitutionnelle du gouvernement fédéral en matière de conception d’une solution unique à un problème environnemental pancanadien. Il pourrait se profiler davantage de procès à l’horizon, en fonction de la décision que rendra la Cour suprême du Canada dans les affaires relatives aux changements climatiques dont elle est saisie.

Parmi les autres faits nouveaux que nous abordons dans la publication de cette année, on compte :

Il y a lieu de noter le rapport de consultation provenant du Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers de l’Ontario (le Groupe de travail). Au cours de l’été, le Groupe de travail a proposé des projets de recommandations qui pourraient avoir d’importantes répercussions tant sur les marchés financiers de l’Ontario que sur ceux du Canada dans son ensemble. Le Groupe de travail devrait présenter ses recommandations définitives vers la fin de l’année. Les propositions préliminaires ont suscité beaucoup de rétroactions (contradictoires, dans bien des cas). On ignore encore la façon dont le Groupe de travail et, ultimement, le gouvernement de l’Ontario réagiront aux points de vue divergents sur l’évolution de la réglementation des marchés financiers. Ce sera un secteur à suivre de près en 2021.

L’an dernier, lorsque nous avons souligné dans la Rétrospective de l’année juridique, que 2020 s’annonçait mouvementée, nous ne pouvions prévoir l’année que nous avons eue. Tout indique que l’année 2021 sera aussi riche en événements; espérons toutefois qu’il s’agisse d’événements positifs, alors que nous travaillons collectivement à un certain retour à la normale. Nous vous souhaitons une bonne lecture de la Rétrospective de l’année juridique 2020. Comme toujours, nous serons heureux d’en discuter avec vous.